On est dix-milles.

J’étais parti crier avec les loups, ma désinvolture et mon mépris.
Je reviens à La Courneuve et la photo du quartier est en couverture du Regards, prise du clocher de la mairie: de loin, et de très haut.

De si haut qu’on ne distingue même pas les gens sur la photo.

Pourtant on est dix-milles en bas à faire l’expérience quotidienne d’un espace publique bâclé. On est dix-milles à arpenter des trottoirs défoncés, étroits, mal rapiécés. Heureusement qu’il y a les 200 mètres tout neufs de la rue Paul Doumer: c’est un peu court pour découvrir le plaisir de se promener dans le quartier, mais ça permet de se faire une idée.

On est dix-milles a voir notre bien commun grignoté par l’intérêt particulier: les Quatre-Routes accueille les entrepreneurs qui ont besoin d’espace. « Garagistes, épiciers, marchands en tous genres, les mètre-carré de trottoir sont offerts ! En prime la vidéo surveillance protection vous permettra de vous approprier l’espace publique en toute sécurité. »

On est dix-milles a être devenus fans de sculpture: le Pouce de César vient régulièrement agrémenter le paysage de nouvelles compressions en filant de grosses pichenettes à ce qui fut jadis du mobilier urbain. Prêtez vos lunette à Monsieur le Maire lors des prochaines balades urbaines, il faut être complètement myope pour ne pas les remarquer, on est dix milles à marcher de travers tellement tout ici est penché, tordu.

Les Quatre-Routes sont loin d’être laissé à l’abandon. Sûr, elles ont dépassé ce stade il y a un bon moment. Comme si les pouvoirs publiques avaient décidé de laisser faire, pour voir. C’est bon, on voit bien, on y vit.

Ne parlons surtout pas de ce qui fâche.

 

Hier soir à la boutique de quartier des 4 Routes avait lieu un Comité de Voisinage: la Municipalité venait faire sa com’. Mais la présentation du budget a eu bien du mal à passer. il faut dire que les gens du quartier avaient eux aussi des choses à raconter et le Powerpoint ensoleillé ne parvenait pas à les distraire de leur expérience quotidienne d’un quartier à la dérive.

Passablement agacé par ces administrés qui adressaient les problèmes de leur quartier au lieu de l’écouter sagement, le président du Comité de Voisinage, menaçait de clore la réunion prématurément. La présentation du budget pouvait laborieusement se poursuivre, illustrée de projet flamboyants, menés partout à La Courneuve…à l’exception du quartier des 4 Routes où les promesses, toujours plus belles, s’accompagnent de délais toujours plus lointains.

En guise de conclusion à sa présentation, l’adjoint au maire chargé de l’aménagement assenait qu’on ne pouvait par parler de quartier en déliquescence pour les 4 Routes. Et il fallait le croire: profitant qu’on lui rappelait que les habitants du quartier étaient mieux placés que lui pour juger de la qualité de leur cadre de vie, il criait à l’attaque personnelle et mettait fin brutalement à la réunion sans que soient adressés les problèmes du quartier.

Mission accomplie.

L’agenda de communication de la municipalité était respecté: le budget avait était présenté tant bien que mal mais comme prévu; et on avait pas parlé de l’état de déliquescence du quartier en Comité de Voisinage. L’adjoint au maire chargé de l’aménagement pouvait rentrer se coucher satisfait, chez lui, loin cette ville merveilleuse qu’il aménage avec tant de talent.

Si seulement les ingrats qui vivent ici réalisaient la chance qu’ils ont.

Cette nuit dans le parking de mon immeuble, aux 4 Routes, toutes les voitures étaient cassées, comme ça, pour rien. La police ne se déplacera pas. Ce matin dans ma boite aux lettre, je reçois la nouvelle version du journal municipal: la page Voisins-Voisines dédiée à la vie des quartiers a fait les frais du remaniement éditorial en disparaissant, purement et simplement.

À La Courneuve, en Comité de Voisinage comme dans le Regards, ce dont on ne parle pas, n’existe pas.

Donc tout va bien.